Femme célibataire pendant le confinement : un temps à soi.
Elisende Coladan
Fin 2019, j’écrivais un article sur le célibat des femmes dans une perspective féministe[1] avec lequel j’initiais tout juste une réflexion sur le thème. C’est un sujet qui me tient à cœur, insuffisamment visibilisé et valorisé, qui mériterait d’être bien plus pris en compte dans la réflexion féministe actuelle. Je remarque que, autour de moi, mes amies sont pour la plupart célibataires, ainsi que nombre des femmes qui viennent me voir en consultation. Certaines vivent en colocation mais la plupart vit seule. Par choix. Parce qu’elles ont vécu le couple, souhaitent se reconstruire et souvent, ne veulent plus vivre à deux. Parce qu’elles réalisent que c’est ainsi qu’elles vivent le mieux. Tranquillement, à leur rythme, souvent avec une vie sociale bien remplie, d’autres fois avec juste quelques amitiés solides. Mais, dans tous les cas seules ne rime pas avec isolées.
Lorsque suite à l’annonce du confinement le lundi 16 mars, j’ai envoyé un SMS pour indiquer que je passais en téléconsultation, je ne pensais pas avoir beaucoup de réponses. J’ai été donc bien surprise de démarrer la première semaine de confinement avec plus de rdv que d’habitude. J’ai dû gérer quelques angoisses ou crises de panique. Mais, surtout, beaucoup de questionnements, notamment sur comment et avec qui se confiner. Certaines sont parties hors de Paris, dans de la famille ou chez des ami.e.s, et d’autres ont pris la décision de rester seules, même si dans un petit logement en région parisienne, tant il était clair pour elles qu’aller dans leur famille, chez des ami.e.s ou chez un.e partenaire, n’était vraiment pas une bonne idée. Aucune ne travaillait dans des secteurs à risque comme celui de la santé ou dans des supermarchés et celles ayant un travail sont passées au télétravail ou ont été en chômage. Seulement une a perdu sa source de revenus[2]. Je les ai aidées à organiser leur temps, souligner l’importance de garder un rythme et d’avoir des activités journalières pour rester ancrées dans le présent tout en passant du temps à « ne rien faire[3] », à penser, à se faire plaisir : prendre du temps pour soi.
J’ai progressivement réalisé que les femmes vivant seules étaient bien entraînées à se débrouiller. Qu’elles avaient toutes un réseau amical présent via les réseaux sociaux, que certaines arrivaient même à se retrouver, vivant à proximité, au moment des courses au supermarché. Que passer des journées entières seule, dans un appartement, ne leur était pas étranger. Qu’elles savaient s’organiser, trouver et demander de l’aide, qu’elles avaient beaucoup de ressources. Certaines en ont profité pour bien avancer sur leur thèse, pour lire des livres, pour écrire ou peindre, pour se former ou participer à des ateliers en ligne. Un grand nombre, a culpabilisé avec l’impression de ne pas « en faire assez », de « ne pas être suffisamment productive ». Alors même que nous vivions une situation hors-normes, inquiétante, dont personne ne connaissait l’issue. J’ai donc souligné l’importance d’aller à son rythme, de prendre soin de soi et j’ai invité à réfléchir au besoin de se sentir « productive », ainsi qu’à la notion de culpabilité. Pour beaucoup, cela a été également un temps de tranquillité pour se recentrer sur les raisons qui les avaient amenées à entreprendre une thérapie et à beaucoup avancer. Notamment à s’interroger sur leurs relations.
La presse, au début de notre confinement, qui coïncidait avec la fin du confinement en Chine, a révélé que le nombre de demandes de divorce y avait explosé, ainsi que les violences conjugales. Dans un article du Progrès du 23 mars, Serge Tisseron[4] soulignait « L'être humain a beaucoup de mal à gérer la solitude, comme il a du mal, d’ailleurs, à gérer la trop grande proximité, il est toujours pris entre l'inquiétude d’être seul, abandonné, et celle d'être envahi, surtout dans un espace réduit. Ces deux problématiques vont être exacerbées, notamment la seconde, et beaucoup de gens vont avoir l’impression de ne plus pouvoir, ni être seul quand ils en ont envie, ni avec quelqu’un quand ils en ont envie » [5], ne mentionnant pas les mécanismes de domination et d’oppression patriarcaux. Celles en couple, sauf exception, ont pu constater nombre de micromachismes[6] et de maltraitances psychologiques de la part de leur compagnon. Certaines ont eu du mal à m’en parler, ne pouvant pas être certaines de ne pas être entendues et ont dû demander à leur partenaire d’aller faire des courses pendant la consultation ou d’aller dans une autre pièce et mettre un casque avec de la musique.
Alors qu’en même temps, beaucoup de femmes seules ont pu, tranquillement et dans le calme, analyser les mécanismes d’oppression et la maltraitance psychologique qu’elles vivaient dans leurs relations et prendre de la distance, en parler avec leur partenaire, voir couper complètement cette relation. D’autres se sont interrogées sur leur travail ou leur lieu de vie. D’autres encore, ont analysé des relations passées, en pouvant s’y concentrer, y passer du temps, en comprendre les mécanismes qui avaient été mis en place et comment elles étaient entrées dans ces engrenages. Ce temps unique et précieux, a permis à un grand nombre d’entre elles a bien avancer et sortir du confinement avec, je l’espère, une meilleure compréhension d’elles-mêmes et sachant reconnaître l’aspect systémique des mécanismes oppressifs dans les relations.
Toutes celles qui n’ont pas interrompu longtemps le travail thérapeutique ont bien traversé le confinement, malgré le fait que, pour certaines, cela ait fait resurgir des souvenirs traumatiques. Deux ou trois d’entre elles en ont même profité pour augmenter le rythme des consultations. Aucune de ces femmes n’a déconfiné rapidement, courant rejoindre amant.e.s ou ami.e.s. Bien au contraire, elles ont toutes pris conscience de la gravité de cette crise sanitaire, de ses conséquences (économiques, politiques ou autres) et du besoin de prendre leur temps pour en sortir progressivement. Elles ont beaucoup réfléchi dessus, notamment au niveau social. Elles ont fait des liens entre les messages gouvernementaux contradictoires et la maltraitance psychologique. Elles se sont accordées le temps de reprendre calmement un autre rythme, responsablement.
Lorsqu’on est prise par un rythme laminoir, avec de nombreuses heures dans les transports en commun, la pression au travail, il est quasiment impossible d’avoir du temps pour réfléchir, pour s’interroger, pour analyser calmement. Cela est possible, pour celles en thérapie, au moins une heure par semaine ou tous les quinze jours. Plus quelques moments grapillés sur un quotidien encombré d’activités. Mais, ce qui se passe plus généralement c’est : soit des pensées obsessives, en boucle qui encombrent l’esprit soit avoir l’esprit tellement encombré par le quotidien ou si fatigué, qu’il y a une difficulté à trouver le temps pour réfléchir et analyser calmement. Il est nécessaire alors d’avoir recours à la méditation, la sophrologie ou parfois même, à des médicaments, pour « calmer le mental ». Vivre seule permet de trouver, en partie, cette tranquillité.
L’importance de l’accompagnement psychologique depuis le début de cette crise, n’a absolument pas été pris en compte par les autorités. Ce n’est que maintenant que des sonnettes d’alarme s’activent, qu’il commence à en être question, notamment pour les femmes qui ont été en première ligne dans le monde du travail, car nombreuses à travailler dans le soin de l’autre (soignantes, mais aussi femmes de ménages, caissières, enseignantes, …), à avoir été prises dans un rythme infernal de travail, à avoir en plus eu à assumer les enfants, le ménage, les courses, … Ou pour celles, restées enfermées avec un compagnon maltraitant et/ou devant tout assumer à la maison. Celles qui s’en sortent plutôt bien, me semble être les femmes seules, ayant pu télétravailler et/ou ayant pu avoir un revenu, même partiel qui ont pu trouver leur rythme, avoir un temps précieux pour elles et pris également le temps de sortir progressivement de cette bulle que le confinement a pu être pour elles, en gardant les éléments qu’elles ont pu en comprendre.
Ce confinement a montré l’importance, pour les femmes d’avoir, pour aller bien, pour réfléchir, pour prendre soin d’elles, non seulement « une chambre à soi », mais également « du temps à soi ».
NB. Dans un autre article je parlerai de l’expérience du confinement pour les femmes seules et dans le spectre autistique. Combien ce temps a été précieux pour elles.
[2] Il m’est apparu naturel de proposer, au fur et à mesure que le confinement se prolongeait, des consultations gratuites ou à un tarif réduit pour celles qui en avaient besoin.
[4] Psychiatre et psychanalyste
[5] https://www.leprogres.fr/magazine-lifestyle/2020/03/23/coronavirus-les-divorces-vont-ils-exploser-apres-la-fin-de-la-quarantaine
[6]https://www.therapie-feministe-elisende.com/2019/04/05/micromachismes-et-macro-d%C3%A9g%C3%A2ts/ Notamment celui de l’homme enfermé dans sa chambre, toute la journée sur son ordinateur, ne sortant que pour manger ou faire des courses. Sans quasiment adresser la parole à sa compagne.
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